Être un Tibétain en exil en Inde

Être un Tibétain en exil en Inde

Traduction de “当藏人流亡到印度” par Tsering Woeser, 4 mars 2012

Sur Facebook, j’ai vu une vidéo d’un film de Bollywood, où chante un acteur célèbre du cinéma indien. La star, beau et magnifique, chante et danse passionnément sur une scène bondée et bruyante, sous les acclamations du public. Mais le plus frappant est sans doute l’image du drapeau à l’effigie du lion des neiges qui flotte dans le vent. Cela a naturellement conduit à un autre évènement : les censeurs indiens du cinéma ont coupé cette image, sûrement afin d’éviter la colère de Pékin.

Cela m’a fait penser : depuis 1959, des dizaines de milliers de Tibétains ont quitté leur maison, ont fui pour aller vivre en Inde. Comment est-ce que les Indiens perçoivent ce phénomène? Comment est-ce que les exilés tibétains s’entendent avec les Indiens? Rappelez-vous que le prix Nobel de littérature, Naipaul, a écrit dans ses notes de voyage la fois où il a rencontré en Inde Sa Sainteté le Dalaï Lama et les Tibétains qui l’accompagnaient. Il est un écrivain minutieux, mais avait une profonde sympathie envers les Tibétains en exil. Je connais aussi le réalisateur Tenzing Sonam et son épouse indienne Ritu Sarin, qui s’aiment mutuellement et partagent des vues similaires, et qui ont tourné ensemble plus d’un bon film.

J’ai soulevé cette question sur mon Facebook, et quelques Tibétains m’ont donné une réponse. Ce sont des gens ordinaires, qui dans leur exil entrent en relation avec des gens ordinaires de l’Inde, leurs opinions sont ou non représentatives, mais émanent de leur expérience personnelle de relation entre les peuples. Nous devons bien sûr noter que, depuis l’Antiquité, pas un seul pays n’a eu envers le Tibet une aussi grande bonté que l’Inde. Par le passé, dans la culture et la religion, cette moitié du monde a démontré une grâce salvatrice.

Cela suscita plusieurs discussions parmi les Tibétains. Lobsang Wangdue a déclaré que ce n’est que ces dernières années que l’Inde vit apparaître des organisations qui soutiennent le Tibet. Ayant vécu dix ans en Inde, il n’a pas un seul ami indien, comme la majorité des Tibétains. Je lui ai demandé si la raison d’une telle situation est que l’Inde est trop grande, qu’elle a une trop grande population et une trop diversité religieuse et culturelle. Il a répondu qu’il s’agissait d’une des raisons, mais qu’il pense que nous n’avons-nous même pas fait trop de travail en ce sens. D’autre part, il a le sentiment qu’il est difficile de s’entendre avec les Indiens.

Tashi Gyaltsen dit qu’il n’est pas difficile de s’entendre avec les Indiens, mais que nous n’avons jamais eu le courage d’aller à leur rencontre, ce qui explique que la distance entre eux et les Tibétains se soit agrandie.

Gendun Gyatso, quant à lui, dit que du point des relations entre les peuples, la majorité des Indiens ne ressent rien pour les Tibétains. Les Indiens qui ont généralement un contact quotidien avec les Tibétains considèrent que la situation économique des réfugiés tibétains est meilleure que la leur, malgré leur accès à une terre publique. Ils ne voient pas ni ne reconnaissent les avantages économiques que les Tibétains ont apportés à leur région. Dans l’ensemble, l’Inde est relativement indifférente à la question du Tibet. La plupart des gens pensent qu’un pays qui a connu la colonisation devrait soutenir plus ardemment les droits de l’homme et des libertés et se montrer plus compréhensif que les autres, mais il est décevant de constater que des pays comme l’Inde et l’Afrique du Sud ne sont pas comme ça. Peut-être est-ce parce qu’ils ont eux-mêmes trop de problèmes et n’ont pas le loisir de se soucier de leur voisin.

Yushu Kgu n’est pas d’accord et affirme que l’appui des Indiens envers les Tibétains dépasse de beaucoup celui des États-Unis et des autres pays. Nous ne devons pas seulement observer la situation actuelle, nous devons aussi demander à la génération précédente. L’antipathie actuelle des Indiens envers nous est également liée à la nôtre, et qu’il ne faut pas parler uniquement de Dharamsala.

Se préoccupant de l’avenir, Gendun Gyats a poursuivi en disant qu’après les derniers événements de Karmapa, il pense que les Tibétains dans ce pays ne sont pas des invités très populaires. Les Tibétains du Népal se sentaient encore libres il y a quelques années, mais en raison de l’intrusion par la force de la Chine, même les fêtes traditionnelles des Tibétains, qui n’ont aucune connotation politique, sont devenues gênantes. Même si les autorités népalaises n’ont pas expulsé les Tibétains, ils ont utilisé diverses procédures pour limiter les activités des Tibétains. Il est possible que les Tibétains en Inde se voient progressivement limités de la sorte. Beaucoup d’activités des Tibétains en Inde n’ont aucune validité juridique, comme la communauté tibétaine de New Delhi, qui, à plusieurs reprises, s’est vue menacée de démolition, parce que la plupart des logements ne sont pas conformes à la loi. Une partie des élites de l’Inde considèrent également que les Tibétains sont une pierre d’achoppement entre la Chine et l’Inde. Le rayonnement international de Sa Sainteté le Dalaï lama et le problème de la frontière indo-chinoise, conséquence de la guerre, pourront aussi permettre aux Tibétains de continuer à vivre en Inde. Il reste plusieurs facteurs incertains dans le futur. Nous verrons comment l’Inde arrivera à choisir ses propres intérêts, et nous devons nous battre pour que le gouvernement de l’Inde donne aux Tibétains, sur une base juridique, un peu de tranquillité d’âme.

2011/11/29

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