La province Amdo, sombrant dans la pauvreté

 La province Amdo, sombrant dans la pauvreté

Traduction de 沦为贫困的玛多 par Tsering Woeser, 17 août 2011

J’ai visité la province tibétaine d’Amdo, source du long fleuve jaune, pour la première fois en 1997, et j’y suis retourné une quatrième fois récemment. Lors de mon premier séjour, cette région m’avait laissé l’impression d’un endroit faiblement peuplé, où les portes étaient solidement fermées et où virevoltaient dans les allés étroites les morceaux de papiers et les sacs de plastiques, tels des fantômes perdus. Aujourd’hui, dans les rues animées et pleines de passants se sont installés plusieurs restaurants de fondue et d’autres mets gourmets. Sur la place principale, une grande bannière d’un vif rouge – encore plus saisissante que la statue du cheval ailé – proclame : « la gloire du Parti rayonne sur la source du fleuve ».

Lorsqu’ils mentionnent la préfecture de Madoi, tous les médias chinois reconnaissent que dans les années 1980, cet endroit fut surnommé « le plus riche des départements de Chine ». Malgré sa faible population – seulement 10,000 habitants – Madoi avait alors le revenu moyen statistiquement le plus élevé. Or, à peine 20 ou 30 ans plus tard, Madoi s’est changé en un « département pauvre ». Cherchant la cause de ce reclassement, les médias chinois ont concluent à l’unisson qu’il s’agissait d’une sur-utilisation des pâturages par les éleveurs, causant l’atrophie des pâtures, la réduction du volume des lacs, l’épuisement des ressources en eau et une dégradation complète de l’environnement. Or, ce genre d’hypothèse troubla plusieurs personnes.

Est-ce bien la cause? Ou, pour dire autrement, est-ce bien la cause principale?

J’ai pu voir des photographies prises par Wang Lixiong, lors d’un voyage au cours du fleuve jaune il y a plus de 20 ans. Parmi celles-ci, les photographies prises en Amdo sont les plus étonnantes. L’une d’elle montre un large plan d’une foule innombrable d’ouvriers travaillant avec entrain. Mais leur besogne ne consiste pas à défricher la terre pour y planter des céréales, ni non plus à faire paître les moutons et bœufs dans les herbes aquatiques; jouant violemment des coudes, ils tamisent le sable du fleuve pour y trouver de l’or. Et parmi les chercheurs d’or photographiés, presque tous sont Hui ou Han. Wang Lixiong ne se souvient pas avoir aperçu de Tibétains participant à la recherche d’or.

En fait, la région de l’Amdo n’est guère célèbre pour son fleuve jaune, mais beaucoup plus pour ses riches réserves non-exploitées d’or, qui attirèrent d’innombrables avares venus d’ailleurs. Selon certains renseignements, dans les années 1980, plusieurs dizaines de milliers d’étrangers auraient afflué subitement dans la région en quête d’or.

En vérité, ce ne fut pas le développement de l’agriculture qui créa la richesse de l’Amdo à cette époque, mais les activités commerciales qu’engendrèrent la recherche de l’or, qui augmentèrent le PIB et les revenues du gouvernement. Il faut souligner que les éleveurs locaux ne bénéficièrent aucunement de cette soi-disant prospérité, et continuèrent comme auparavant de vivre la vie simple et satisfaisante des éleveurs nomades.

Les étrangers venus en terre tibétaine pour y extraire l’or détruisirent une grande partie des pâturages, et pour cette raison le lit de la rivière s’assécha, les animaux sauvages devinrent les proies de la chasse, le « champignon chenille » et d’autres précieux ingrédients pour la médecine traditionnelle furent extirpés, chaque élément en dégradant un autre, chaque cause s’attaquant à une autre, et ce, jusqu’à ce que les conséquences apparaissent. Les informations disponibles sur internet montrent que, des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, en raison d’une excavation sauvage et excessive de l’or dans la région de l’Amdo, non seulement les filons d’or furent épuisés, mais les pâturages furent également sévèrement endommagés, tout comme le cycle vertueux du système écologique, entraînant le tarissement de ressources en eau et la désertification des territoires. En 1999, 47,8% de la surface terrestre de la région était alors classifié comme région désertique ou inhabitée et la quantité d’animaux sauvages déclina de 31%.

China Dialogue publia l’année dernière un article sous le titre de « Les steppes tibétaines en disparition », dans lequel figure un entretien avec un professeur tibétain qui s’exclame : « Maintenant, l’Amdo est extrêmement pauvre. Il est difficile de continuer à y vivre. L’exploitation minière est terminée, les steppes y sont également détruites… » . Pourtant, sur la page internet du gouvernement local de l’Amdo, on affirme comme auparavant que « des ressources sous-terraines considérables en minerais attendent d’être exploités ». En dehors de l’or que l’on retrouve partout en Amdo, il y aurait également des filons de fer, de cuivre, de cobalt, de sel et de borax, en plus du calcaire et des pierres précieuses. À ce jour, l’exploitation minière se poursuit sans interruption.

Est-ce que le problème réside vraiment dans une sur-utilisation du pâturage? Un éleveur de plus de 80 ans rétorque que si les animaux d’élevages qui broutent les herbes ont un effet nocif sur la végétation, alors l’ensemble du territoire devrait s’être changé aujourd’hui en désert aride, puisque depuis son enfance, plus de 100,000 ânes sauvages vont et viennent sur ces terres. Wang Lixiong dans un de ses articles réplique également : « les Tibétains, de génération en génération, ont fait paître pendant des milliers d’années leurs animaux sur ces pâturages, alors pourquoi est-ce qu’une telle dégradation de l’environnement et une sur-utilisation des pâturages n’existaient pas auparavant? ».

Notons finalement la présence d’une autre cause entraînant la dégradation environnementale, c’est-à-dire les changements climatiques du plateau tibétain du Qinghai, qui sont connus de tous. Or, à celle-ci s’ajoutent des facteurs analogues, mais résultant des activités des étrangers, je fais allusion à l’exploitation minière et à l’endiguement du fleuve.

17 août 2011, Lhassa

 

Tous droits réservés sur les photos et textes Tsering Woeser 2011. Traduction par F.N.D., 2011. Ne pas reproduire sans permission.

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